Bookmark and Share Ghosts – Propositions/spéculations

Propositions/spéculations

Ghosts

Stéphane Degoutin, 2010. Subject: Omniscience et mémoire éidétique


Terravia Island, vide.

Second Life va-t-il devenir une ville fantôme? Après deux ans sans m’être connecté, je me promène ces jours-ci à travers des décors extravagants, immenses, qui ont manifestement coûté beaucoup d’efforts à leurs créateurs, mais que plus personne ne vient visiter. Je me téléporte d’île fantastique en ville reconstituée, de fantasme d’artiste en parc à thème, sans croiser quiconque, sauf parfois un avatar immobile, aux bras ballants. En dehors des plages naturistes et des clubs de lesbiennes, tout est abandonné, sans vie.

Je ne regrette pas la période où se promener sur Second Life signifiait croiser sans cesse des gens tournant sur eux-mêmes, en désespoir de parvenir à maîtriser leurs mouvements, ou essayant piteusement d’entamer une conversation.

Privé de ses habitants, le territoire de Second Life paraît soudain beaucoup trop grand, et se promener dans seul dans cette immensité fait presque peur. Paysages de maisons vides, comme une suburb américaine un après-midi de semaine. Comme un jeu vidéo décidément privé de tout but, hormis l’errance. Un jeu vidéo fantôme, qui en devient alors sublime.

Combien de temps Second Life restera-t-il accessible, quand il sera définitivement passé de mode? Il est à souhaiter que l’on puisse longtemps encore venir se promener dans ses ruines, comme sur le Forum à Rome.

Etrange ruine pourtant: aucun délabrement ne se lit sur les façades, aucune feuille ne manque aux arbres. Aucune nature n’a repris ses droits sur les constructions humaines. Rien ne trahit le passage du temps. Au contraire, maintenant que le très haut débit n’est plus ralenti par la présence des autres avatars (qui impliquait, pour la machine, un temps de calcul plus important), la promenade est enfin fluide.

Que faire de ces ruines qui ne pourrissent pas?

Et, plus généralement, que faire des fantômes virtuels? Après votre mort, votre page Facebook existera toujours (à moins que vous n’ayez confié vos mots de passe à un notaire) et vos amis continueront d’écrire sur votre mur. Votre page perso, et les divers avatars que vous aurez semés ici ou là ne disparaîtront pas non plus.

Que faire des pages d’utilisateurs morts de Facebook? Que faire des sites persos, des avatars, des traces laissées par les morts? Au fur et à mesure que meurent les premières générations d’Internautes, se multiplient leurs fantômes. Internet ressemblera bientôt à un film de Romero. Une grande partie de ses contenus sera constitué de traces du passé.

Les blogs abandonnés sont recouverts de faux commentaires, comme les vieilles maisons sont envahies de lierre.

Peut-on imaginer des avatars fantômes? Des doubles de vous qui continuent de vivre leur vie propre après votre mort? Un livre, une peinture ou une architecture survit à son créateur, une photo survit à la personne représentée. Mais un avatar n’est pas une photo, immobile. Il possède vos caractéristiques, c’est un double, construit selon des règles de fonctionnement. Il peut donc continuer d’agir, en reproduisant votre personnalité, même après votre mort.

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