1) Blue Velvet
"On
ne peut se défaire de ce sentiment à la Blue Velvet
que même dans le quartier le plus incroyablement paisible de Los
Angeles, l'ordre sous-jacent pourrait soudain basculer dans l'horreur
ou se révéler moins immuable que prévu."
John Chase (1)
L'ambiance si particulière
des films de David Lynch repose sur la confrontation de deux mondes opposés :
dans la représentation archétypale de la banlieue américaine
paisible surviennent des événements dérangeants,
bizarres, violents ou incompréhensibles -- comme par exemple
la découverte d'une oreille humaine le long d'un sentier, qui ouvre
le film Blue Velvet.
Si la violence est un fait mesurable (malgré les difficultés
à obtenir des chiffres précis), le sentiment d'insécurité
par contre est une réalité beaucoup plus ambiguë, qui
échappe à l'analyse objective. Il varie selon les individus,
les circonstances, les cultures
S'il est difficile à évaluer,
il se prête par contre très bien, comme tout sentiment, à
la description littéraire ou artistique. Les cinéastes hollywoodiens
n'ont pas manqué d'exploiter le potentiel cinématographique
de ce thème ; et ce n'est pas une coïncidence si le cinéma
qui a illustré le mieux le XXe siècle occidental est produit
à Los Angeles, la ville qui a produit le sentiment d'insécurité
sous sa forme la plus contemporaine.
Trottoir ordinaire, le long d'une avenue de Los Angeles, la nuit.
Los Angeles se distingue par un climat d'insécurité très
particulier ; le mode d'apparition de la criminalité y est
très différent de celui qu'on peut observer dans des métropoles
telles que New York, Londres ou Paris. Dans ces villes très densément
peuplées, où l'on côtoie chaque jour des milliers
d'inconnus dans la rue ou dans les transports, on est préparé
à faire face à une certaine forme de violence quotidienne,
inhérente à la réunion en un même lieu de nombreux
êtres humains : micro agressions dans les transports, regards
de biais, irascibilité, violence verbale
Les habitants de
ces villes sont d'ailleurs considérés comme des êtres
nerveux, pressés et agressifs.
Les habitants de Los Angeles, au contraire, sont connus pour leur attitude
détendue. Le stress de la vie urbaine ne fait pas partie de leur
mode de vie ; on n'y est pas confronté quotidiennement à
des citadins agressifs. De toute manière, on ne croise quasiment
pas d'inconnus, puisqu'on se déplace en voiture d'un point à
un autre, en sortant rarement de la sphère privée (communauté
résidentielle, bureau, centre commercial
). Il est assez rare
de se retrouver dans un environnement qui ne correspond pas à sa
catégorie socioprofessionnelle ; on se trouve donc presque
toujours dans des environnements rassurants, car peu surprenants.
La plupart des quartiers résidentiels offrent
une image de parfaite sérénité : maisons tranquilles,
jardins ouverts sur la rue, végétation luxuriante, habitants
affables -- et comme le dit John Chase, cette tranquillité
a quelque chose d'irréel, de surnaturel, puisque le taux de criminalité
de la conurbation de Los Angeles est très élevé (sensiblement
similaire à celui de New York (2), et nettement
supérieur à celui de Paris).
Chaque Angelino sait que la violence peut exploser n'importe où
et n'importe quand, surtout là où elle semble le plus déplacée.
On peut s'attendre à être la cible d'un serial killer, à
recevoir une balle perdue ou à mourir dans un accident de voiture.
Le danger existe, mais il se manifeste rarement par des signes avant-coureurs
clairs, ce qui accroît le sentiment d'insécurité.
Maison décorée pour Halloween (Orange County).
Alors que l'habitant d'une ville traditionnelle peut
ressentir de manière immédiate et intuitive l'atmosphère
d'un quartier parce qu'il est mis en contact direct avec la population
qui y habite, l'Angelino ne croise sur sa route que des automobiles, des
bâtiments standardisés et des panneaux publicitaires --
mais très peu d'êtres humains. Les signes permettant de comprendre
la nature d'un quartier sont différents. Si l'on remarque, par
exemple, que les fenêtres des maisons sont grillagées, que
les façades sont taguées, qu'il y a des voitures abandonnées,
et que les coins de rues sont surveillés par des individus louches,
il est probable que l'on se trouve dans un ghetto. Dans les quartiers
les plus dangereux, la police se charge d'interpeller les Blancs pour
les informer que leur intérêt est de quitter les lieux. De
la même manière, un groupe de Noirs se promenant dans un
quartier aisé sera rapidement rappelé à l'ordre (3).
En dehors de ces deux extrêmes, de nombreux quartiers offrent une
image tout à fait ambiguë. Certains, à l'aspect peu
engageant, sont en réalité tout à fait tranquilles :
ainsi, la prolifération de panonceaux "Armed response"
ou " Neighborhood watch " dans les zones résidentielles
riches peut faire croire à une forte insécurité.
Au contraire, d'autres quartiers qui ont l'air très calmes sont
des coupe-gorge une fois la nuit tombée. Il est difficile de distinguer
les différences du premier coup d'il, dans un environnement
qui apparaît tout d'abord comme une répétition à
l'infini des mêmes éléments. Ce sont partout les mêmes
maisons, les mêmes bâtiments anonymes, les mêmes commerces,
les mêmes stations-service : la plupart des quartiers de Los
Angeles ne transmettent aucun message particulier, et le réseau
routier infini, qui les rend tous également accessibles, égalise
encore les différences.
Los Angeles est faite d'une très grande variété d'environnements,
mais il faut y habiter longtemps pour assimiler les codes qui permettent
de détecter rapidement le caractère d'un quartier. A cause
de son fonctionnement très particulier, la ville ne peut pas être
appréhendée de manière intuitive : elle reste
donc toujours à distance.
Panneau d'une société de sécurité, sur
la grille d'une maison individuelle. Ce type de panneau est omniprésent
dans les quartiers résidentiels.
2) Crime Doctor
Pour se préparer à l'éventualité
d'un déclenchement soudain de violence Lynchienne, on peut suivre
les conseils que dispense le "Crime Doctor" sur
son site web (4). Toutes les techniques de protection
sont expliquées en détail, depuis la pose de cadenas jusqu'à
la création de lotissements fortifiés (gated communities).
Sur la page "Home invasion survival tips" ("Trucs
de survie en cas de prise d'assaut de votre maison"), il nous
apprend à nous préparer à la situation suivante :
"Imaginez ce scénario. Après une longue semaine
de travail, vous avez enfin la possibilité de vous reposer chez
vous avec votre femme et vos deux filles. Vous êtes dans le salon
en train de regarder la télévision. [
] Après
avoir travaillé dur pendant des années, vous avez pu vous
installer confortablement dans ce que vous pensiez être une communauté
sûre.
"A 9H du soir, on frappe à la porte et votre femme se lève
pour répondre. A peine a-t-elle entrouvert la porte que deux jeunes
inconnus la bousculent et font irruption dans votre living room. [
]
Les deux hommes brandissent des armes et hurlent des menaces et des
ordres obscènes tout en vous rouant de coups."
Une fois le décor posé, le Crime Doctor examine
différentes manières de réagir :
"Si vous décidez de contre-attaquer, faites-le vite, de
manière brusque, et visez le nez, les yeux ou la gorge sans vous
soucier des blessures que vous pourriez causer. [
] Dans une
situation où votre vie est en jeu, il n'y a pas de règles
pour combattre. [
] Prenez un cours de self-défense
avec toute votre famille pour vous entraîner aux techniques appropriées.
[
]
"Parfois, dans des circonstances où la vie est en jeu,
une fuite radicale peut être payante, comme sauter à travers
une baie vitrée, se jeter d'un balcon ou escalader le toit. Bien
que cela vous expose à quelques blessures mineures, il faut les
mettre en regard de vos chances de survie face à vos assaillants.
[
]
"Devant le danger, un enfant entraîné à cette
tâche peut composer le 911 [numéro d'appel d'urgence],
appuyer sur un bouton d'alarme ou s'échapper vers la maison d'un
voisin pour appeler la police. "
3) Los Angeles
sans lumière
Contrairement à la vile moderne éclairée 24H/24,
où la nuit et le jour tendent à se ressembler de plus en
plus (Paris "ville lumière", New York "qui ne dort
jamais"), la banlieue américaine est plongée dans les
ténèbres dès que le soleil se couche, comme si l'on
était en rase campagne. Los Angeles est une ville fantôme
la nuit : comme dans un rêve, elle est soudain vidée
de ses habitants, de son énergie, de sa substance ; et l'on
se promène dans les rues vides à l'infini, sans jamais reconnaître
les lieux que l'on traverse.
Vouée au culte du soleil et du climat idéal, Los Angeles
nie l'existence même de la nuit et on se comporte exactement comme
si elle n'existait pas. On se couche tôt, on se lève tôt ;
les fêtes et les activités sociales se déroulent de
préférence sous le soleil, l'après-midi autour d'un
barbecue, au bord d'une piscine ou à la plage. On peut aussi prolonger
la journée pendant les heures où le soleil est couché,
mais ces activités restent une extension de la journée.
Par exemple, on peut aller acheter à quatre heures du matin une
perceuse chez Home Depot ou des carottes chez Ralph's, comme
si l'on était en plein jour ; on peut passer la nuit au bureau,
ou devant la télévision, ou encore en voiture à sillonner
les rues.
Chevrolet, modèle " Suburban "
Du fait de la faible densité construite, l'éclairage nocturne
ne vient pas tant des fenêtres des bâtiments ou de l'éclairage
public que des phares des voitures, des enseignes des magasins ou des
hélicoptères de la police. Un quartier pourrait s'éteindre
si toutes les voitures s'en allaient dans une autre direction --
tandis qu'un autre s'allumerait à sa place. C'est ce qui rend Los
Angeles si belle vue d'avion, ou vue du haut des collines d'Hollywood.
Sur une nappe d'obscurité se détachent des lumières
en mouvement continu : les lignes lumineuses des avenues principales
et les courbes des autoroutes scintillent des phares des voitures. Cette
trame irrégulière s'étend aussi loin que porte le
regard, jusqu'à se fondre dans l'océan ou se perdre dans
les collines.
On traverse des quartiers immenses en quelques minutes par l'autoroute,
en regardant négligemment défiler les billboards,
les buildings, les arbres, les autres voitures : la réalité
de la ville obscure s'éloigne alors dans la séduction esthétique
des jeux de lumières. Mais dès que l'on s'éloigne
des grands axes et que l'on s'enfonce dans l'arrière-plan de la
carte postale, l'obscurité est moins séduisante. Dans un
inextricable réseau de rues secondaires désertes, seuls
les phares de son propre véhicule éclairent, de biais, des
façades menaçantes. L'obscurité glacée, mieux
que le soleil écrasant, révèle la profondeur infinie
des panoramas ; et Los Angeles apparaît alors comme un affolant
labyrinthe orthogonal dans lequel il ne vaut mieux pas trop s'enfoncer.
Photo: © Ofer REYHANIAN
La nuit est à la banlieue américaine ce que la forêt
est à la civilisation médiévale. Tout comme la forêt
est fréquentée par des loups, des bandits nomades, des sorcières,
des elfes, des trolls, des ogres et autres créatures mystérieuses,
les nuits de Los Angeles appartiennent à des populations menaçantes.
La hantise de tout Angelino est de se retrouver en panne d'essence dans
l'un de leurs territoires.
Los Angeles est fréquemment présentée comme une succession
de décors de cinéma : architectures fragiles construites
en matériaux non pérennes, couleurs criardes, formes en
renouvellement permanent, affiches publicitaires
Sous le soleil,
on oublie qu'il s'agit d'un décor ; mais la nuit, du fait
notamment de la disparition des couleurs, cet environnement prend un caractère
inquiétant. La fragilité de l'architecture, notamment, contribue
au sentiment d'une ville de papier, très vulnérable.
Si le sentiment d'insécurité est aussi fort la nuit, c'est
parce que l'on pénètre, à proprement parler, dans
l'envers du décor : on rentre rarement dans un bâtiment par
la façade sur rue, mais plus souvent par derrière, en venant
d'un parking, d'une rue secondaire ou d'une contre-allée qui sert
aussi à sortir les poubelles. La porte de derrière des commerces
est souvent plus utilisée que celle de devant (s'il existe une
porte de devant). Et si le soleil humanise le coin de rue le plus inhospitalier,
l'obscurité au contraire ne met pas en valeur les parkings sans
éclairage, les portes dérobées, les entrelacs de
petites rues sombres, les enseignes de néon fatiguées perdues
au milieu de nulle part, les escaliers de service, les cours d'immeubles,
les couloirs étroits - qui sont l'environnement nocturne de l'Angelino
; contrairement au New Yorkais qui se promène dans la nuit au milieu
de la foule des noctambules dans un décor fantastique.
"Welcome to Los Angeles"
4) Une dernière
danse avant la fin du monde
A Los Angeles, s'amuser la nuit semble toujours bizarre.
Non que les Angelinos ne sortent pas le soir, mais cette habitude héritée
de la culture urbaine des métropoles modernes semble inadaptée
au rythme de vie suburbain. Bien sûr, on trouve ici aussi des soirées
branchées "comme à New York", mais l'éclairage
tamisé ne met pas en valeur la plastique et le bronzage des Angelinos,
qui réclament le plein soleil et les ombres franches. Lorsque l'éclairage
est insuffisant, on se croirait dans un film sous-exposé.
Tout au fond de la nuit, le plus loin qu'il soit possible d'aller à
Los Angeles, c'est-à-dire le plus au centre possible, dans la zone
industrielle de Downtown, entre Openspace Avenue et Nogoland Boulevard (5),
on trouve des lieux qui auraient peut-être eu l'air branché
dans les années 80 (du XXe siècle). Les avenues, larges
et désertes, sont bordées de bâtiments industriels
vides, jaunis par la lumière fatiguée des lampadaires. Des
sans-abri, noirs, dorment au coin des rues, entre les déchets qui
jonchent le sol ; et parfois une ombre passe à l'arrière-plan.
Le paysage sordide pourrait servir de décor à un film hollywoodien
sur les bas-fonds de la mégapole.
Perdus au milieu de ce décor, on trouve quelques clubs de house
music. Même si vous vous garez à 200 mètres d'un de
ces clubs, un vigile portant une arme bien en évidence vous sautera
dessus dès votre descente de voiture pour vous escorter jusqu'à
l'entrée. Votre ange gardien vous aura repéré dès
votre arrivée -- personne ne se promène par hasard
ici au milieu de la nuit.
A l'entrée des clubs, d'autres vigiles armés procèdent
à une fouille systématique pour vérifier que personne
n'entre avec une arme. A l'intérieur, de nombreux autres vigiles
armés sillonnent les salles de danse. Si on exhibe autant d'armes,
c'est pour rassurer les clients, et si ce sont des vieux Noirs qui travaillent
dehors, c'est que leur vie coûte moins cher que celle d'un jeune
Blanc. Le développement de la police privée (qui a dépassé
depuis longtemps la police publique en nombre) offre ainsi quantité
d'emplois mal payés et à hauts risques.
On vient ici pour gober de l'ecstasy et danser dans une ambiance de fin
du monde -mais si on allume une cigarette ou si l'on commande une bière
après deux heures du matin, on se fait immédiatement rappeler
à l'ordre. Les vigiles sont sous ecstasy aussi eux aussi ; oubliant
les vingt ans qui les séparent de la moyenne d'âge des jeunes
danseurs, ils agitent leur graisse comme des damnés, rouges de
sueur, bavant de plaisir, exhibant leurs armes comme s'ils montraient
leur sexe.
Affiche "No drugs sold on this property", sur la fenêtre
d'une maison, dans un ghetto noir (Venice Beach)
5) Gated communities
Dans une tout autre ambiance, un peu partout dans la ville, prolifèrent
les gated communities, ces quartiers résidentiels privés,
fermés, séparés de l'espace public par des murs et
des grilles, protégés par des milices ou/et des caméras
de surveillance, et dotés de réglementations spécifiques.
Les gated communities sont la forme d'habitat qui se développe
le plus rapidement aux Etats-Unis, notamment autour des grandes villes
de Californie et de Floride. Elles sont, avant tout, une réponse
au sentiment d'insécurité propre à l'environnement
suburbain.
Même en plein jour, la communauté de Manhattan Village
est presque invisible ; on peut facilement passer devant sans soupçonner
son existence. La petite guérite du gardien, qui en marque l'entrée,
est dissimulée derrière un alignement d'arbres le long d'une
avenue déserte de Manhattan Beach, une cité balnéaire
tranquille de Los Angeles. Cette rangée d'arbres opaque est la
seule " façade sur rue " de ce lotissement qui contient
pourtant une centaine de logements.
A l'entrée, un gardien (noir) accueille avec une grande politesse
les habitants et les visiteurs. Pour faire entrer un visiteur, il faut
qu'il ait été averti de sa venue par ses hôtes. Ensuite,
il note le numéro d'immatriculation de la voiture, le numéro
de permis de conduire, puis indique le chemin de la maison où celui-ci
est attendu, lui souhaite une bonne journée ; et enfin ouvre la
grille d'entrée.
Ouverture de la grille de la gated community "Cardiff
by the Sea" (San Diego)
On pénètre dans le lotissement par une première rue
libre de toute construction, bordée d'arbres de part et d'autre,
comme on entrerait dans un immeuble par un hall d'entrée agrémenté
de plantes vertes. Derrière ce sas, on pénètre dans
un autre univers. Même si Manhattan Village n'est pas la plus luxueuse
des gated communities de la ville, elle incarne à un point
extraordinaire la tranquillité et le calme d'un lotissement résidentiel
idéalisé. Ici, le soleil vif et cru a retrouvé tout
son sens : la communauté rayonne de la perfection et de l'optimisme
américain, avec une pointe de candeur, qui rappelle les films hollywoodiens
des années cinquante. Les rues sont propres, les arbres parfaitement
entretenus, les maisons ont l'air agréables à habiter et
les chemins de traverse invitent à la promenade. Les maisons et
les immeubles d'habitation sont répartis autour de rues nouilles
qui se terminent en cul-de-sac. Les habitants correspondent à l'archétype
de l'Américain grand, fort, affable, souriant, blanc et en short --
qui se fait de plus en plus rare dans les quartiers "ouverts"
de Los Angeles.
Le principal atout de la communauté est d'être située
à quelques minutes seulement en voiture de l'aéroport international
de Los Angeles. Grâce à cet emplacement privilégié,
elle attire une population spécifique ; notamment des joueurs de
l'équipe de basket-ball de Los Angeles et des cadres supérieurs
"internationaux" qui voyagent fréquemment pour des raisons
professionnelles.
Les maisons "personnalisées" (custom houses) ont
toutes été dessinées par un architecte différent,
ce qui est un signe distinctif. En raison du prix élevé
des terrains constructibles à Los Angeles, ce sont de grandes maisons
avec de petits jardins. La communauté comprend aussi quelques immeubles
d'habitation, ce qui constitue une mixité assez atypique, explicable
par sa situation en zone urbanisée. Les habitants sont bien conscients
qu'ils pourraient disposer de maisons et de jardins deux fois plus grands
pour le même prix en Floride ou en Arizona, mais ils perdraient
l'avantage qu'il y a à "vivre en ville", comme me le
confiera, sans ironie, une habitante.
En effet, habiter une gated community n'implique pas de renoncer
au contexte qui l'entoure. Ces habitants veulent continuer à profiter
des avantages que leur procure la ville (emplois, services, vie culturelle),
sans avoir à subir ses inconvénients : la densité,
la criminalité, la proximité physique d'autres êtres
humains, l'obligation de fréquenter l'espace public, la présence
des pauvres et des minorités ethniques, la fiscalité
Ils veulent choisir les relations qu'ils entretiennent avec le reste de
la société, sans que celle-ci puisse choisir les relations
qu'elle entretient avec eux. Ils entretiennent avec la société
une relation à sens unique.
Vue d'une rue en
cul-de-sac dans la gated community " Manhattan Village ", à
Manhattan Beach (Los Angeles)
© Stéphane
Degoutin
(1)
John Chase (architecte, vit, travaille et enseigne à Los Angeles),
" My urban history ", in Nan Ellin ed., Architecture of Fear,
Princeton University Press, New York, 1997. (retour)
(2)
Le taux de criminalité de Los Angeles et de New York se suivent
mystérieusement (très élevés au début
des années 1990, ils ont fortement baissé depuis), alors
que les deux villes n'ont à peu près aucun autre point commun.
(retour)
(3)
"Pour montrer l'existence d'un apartheid de fait, Don Jackson,
policier noir de Hawthorne, emmena un jour de congé des jeunes
du ghetto se balader à Westwood Village [un quartier aisé
de Los Angeles]. Malgré un respect scrupuleux de la loi, ils
ne tardèrent pas à être interpellés, plaqués
à terre et fouillés. Malgré son statut, Jackson fut
arrêté pour "atteinte à l'ordre public"."
Mike Davis, City of quartz, Excavating the future in Los Angeles,
Vintage, Londres, 1992 ; La Découverte, Paris, 1997. Jackson répéta
ensuite l'expérience dans d'autres quartiers avec le même
"succès". (retour)
(4)
www.crimedoctor.com (retour)
(5)
private joke (retour)
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